Il n’y a pas de dire qui divise autant les burkinabè aujourd’hui que l’assertion du président B. Obama, lors de son discours d’Accra : « L’Afrique a besoin d’institutions fortes, mais pas d’hommes forts ». !
En ce qui me concerne, ce propos est une évidence valable non seulement pour l’Afrique mais aussi pour tous . Pourtant il se trouve bien des gens pour avancer un argument en contradiction avec les propos du président. Je me propose dans cet écrit de relever et d’analyser certains de ces arguments :
Il n’y a pas d’institutions fortes, s’il n’y a pas d’hommes forts
L’argument le plus souvent avancé pour contredire Obama, dit plutôt que les institutions fortes émanent des hommes forts. Et les partisans de cette argumentation de citer des exemples d’hommes qu’ils disent forts qui selon eux ont fait le bonbonneur de leur peuple respectif. On y retrouve donc A. Lincoln, Napoleon Bonaparte, M Luther King, etc. Un argument qui culmina en Aout avec la malheureuse sortie du Président du Faso à Washington, où il affirmait qu’il « n’y a pas d’institutions fortes, s’il n’y a pas d’hommes forts ».
Cet argument, à mon sens, présente trois failles principales :
La première faille, est celle d’une lecture erronée des propos du président Obama. Par exemple, Blaise Compaoré situe le propos de Obama dans le contexte de la lutte pour les libertés civiques aux USA ! Fait étrange, d’autant que le président lui-même prend le soin de bien dire « L’Afrique n’a pas besoin d’homme fort … ». Il n’y a pas plus sourde oreille que celle qui ne veut pas entendre !
La deuxième faille, est celle la méconnaissance des faits historiques ! Lincoln par exemple, quoique un élément clef dans la lutte pour l’abolition de l’esclavage, enracine son action dans la force des institutions que représentent le parti républicain, et le Senat américain. Si Lincoln n’avait pas bénéficié de l’appui de son parti, il n’aurait même pas été désigné candidat à la présidence de la République par ce même parti !
Quant à Bonaparte, il ne faut pas oublier que son ascension elle-même découle directement de la Révolution de 1789. C’est donc la révolution française qui donne tout son sens à Napoléon ! Il ne faut pas oublier non plus que lorsque celui-ci s’est éloigné des idéaux de cette révolution en établissant son propre pouvoir despotique, cela a conduit la perte de son régime !
Luther King est un Grand Homme, à ne pas confondre avec un homme fort ! Les Grands Hommes ont ceci de commun : ils sont tous Fort du Caractère : Lincoln, King, Mandela, etc… Faire l’amalgame entre un Grand Homme et un homme fort, c’est bien prendre le jour pour la nuit ! Il ne faut pas confondre Force du caractère et Homme Fort, même si les hommes forts eux-mêmes ont aussi une certaine force du caractère ! Il y a la force de caractère qui permet au Grand Homme de s’opposer contre toute attente à la force inouïe de l’oppresseur ! David contre Goliath ! Et il y a la force de caractère qui fait de vous l’oppresseur, celui qui est sans état d’âme même quand il écrase beaucoup plus petit que lui ! Il n’est pas donné à tous d’être aussi insensible ! Cette force de caractère-là ne fait pas de vous un Grand Homme, mais plutôt un homme fort !
La force de caractère des grands hommes leur permet de s’immoler pour le bien de tous, tandis la force de caractère des hommes fort leur permet d’immoler la nation entière pour leur seul profit !
Mandela c’est le Grand Homme, Hitler l’homme fort !
La troisième faille finalement, c’est que les partisans de l’argument manquent tout simplement de s’apercevoir de l’antagonisme entre institution forte et homme fort ! Il n’est tout simplement pas possible d’avoir les deux ensembles ! L’institution forte signifie que l’individu s’efface au profit de la communauté ! L’individu donc, ne peut rien devant les lois communautaires !
Par contre l’homme fort, efface la communauté. Lui, tout seul fait la loi, la pluie et le beau temps ! Rien n’échappe à son contrôle !
Lorsqu’un érudit comme Laurent Bado nous dit que « les institutions ne valent que ce que valent les hommes », il manque en même temps de nous souligner une nuance, très importante pourtant ! Cette nuance, c’est le terme « les hommes» comme dans « ce que valent les hommes ». Oui, les hommes et non « l’homme » ! Les institutions ne valent pas ce que vaut l’homme, elles valent que ce que valent les hommes ! Les institutions du Faso vont ce que valent les burkinabe et non ce que vaut Blaise Compaore ! Si le peuple est faible, les institutions le seront !
Plusieurs hommes forts, c’est cela la démocratie ! Le peuple entier est fort, chacun avec les autres est fort mais personne tout seul n’est fort!
L’Irak, l’Egypte, la Libye et la Tunisie ne prouvent qu’il faut des hommes forts !
L’autre argument assez proéminent souvent cité en exemple pour s’apposer au propos du président Obama, consiste à nous énumerer les cas encore plus récents de l’histoire du moyen orient. Ainsi donc, des pays comme l’Irak, l’Egypte, la Tunisie et la Libye, du fait des troubles profonds qu’ils connaissent depuis la chute de leurs dictateurs respectifs, démontrent de l’utilité des hommes forts !
La faille principale de cette argumentation, c’est de ne pas aller au bout du raisonnement ! La logique voudrait que justement des pays comme la Libye soit un exemple palpable des limites du modèle « homme fort » ! L’humanité a fait des progrès depuis, mais tous les hommes sont encore mortelle, que cette mort soit accidentelle, précitée ou arrive à son terme normale ! Le modèle homme fort nous enseigne donc qu’il faut accepter une période de passage à vide comme en Libye, après la mort de l’homme fort, en attendant qu’un nouvel homme fort émerge parmi les prétendants comme en Egypte. Le modèle nous enseigne aussi que cela peut prendre jusqu’à des décennies comme en Irak.
Il apparait aussi clairement que si ces pays avaient des institutions fortes, la pagaille aurait été évitée ! Le Sénégal après la démission de Senghor ne s’est pas entretuer ! La Cote d’Ivoire, a la mort de F. Houphouet-Boigny n’a pas été plongée dans la pagaille ! En tous cas pas, immédiatement ! La Zambie n’a pas été plongée dans le chaos par la mort de Mwanawasa en 2008.
Conclusion
Ce sont les institutions qui assurent la pérennité d’un Etat. Les hommes, tous, forts ou faibles passent ! Qu’un enseignant d’université développe une thèse aussi bancale que celle de L. Bado ?, cela repose toute la question du mal de l’Afrique : Avons-nous mal appris ou sommes-nous que trop souvent émotion plutôt que raison ?
Comment peut-on raisonnablement expliquer que le président du pays le plus pauvre de la planète réplique au président du pays le plus riche et le plus fort de cette meme planete, qu’en Afrique, il faut des hommes forts pour créer des institutions fortes, sans même se soucier d’appuyer son propos avec un exemple ?
Si vraiment la force des institutions n’y était pour rien, Mr. Compaoré ne devrait-il pas, avant d’ouvrir la bouche, craindre qu’une ogive nucléaire ramène son petit pays insignifiant à l’ère précambrienne ?