Dans mes blogs sur les enjeux de l’élection du 29 novembre, j’ai identifié 3 conditions sine qua non à la continuation de notre belle révolution après le 29:
- La Rupture
- Le savoir oser
- Le pragmatisme et l’originalité
Dans la première partie de mon propos, « Un Faso de la Rupture », j’ai énuméré les maux que je pense nous avons voulu rompre avec par la révolution des 30 et 31 octobre 2014. J’ai cité la médiocrité, l’arrivisme, la France-Afrique. J’ai essayé de montrer comment certains hommes politiques proéminents de notre pays incarnaient cette médiocrité, cet arrivisme, ces réseaux occultes qui n’ont que fait trop de mal à nos pays.
Dans la deuxième partie de mon propos, « Un Faso du savoir oser », j’ai essayé de démonter l’argument selon lequel il faut des hommes d’expérience pour gouverner le pays. Obama, Cameron, Tsipras sont autant de leaders récents qui n’ont jamais eu cette expérience, mais qui pourtant font le bonheur de leur peuple. Ce qui compte en réalité, se sont les idées, la vision, la volonté politique. En Grèce antique, des cités comme Athènes avaient même préféré le tirage au sort à l’élection pour remplir certaines fonctions.
Dans cette troisième et je me propose de traiter du pragmatisme, la dernière condition ci-dessus citée.
Le pragmatisme et l’originalité
Sans pragmatisme, il devient très difficile de poser un diagnostic correct. Or la résolution d’un problème commence d’abord par la bonne identification du problème et de ces causes.
Sans originalité, les solutions restent dans des spéculations générales sans aucune chance de résoudre le problème spécifique. C’est vraiment le domaine des « faire en sorte que … ». Une tournure qui, à mon humble avis n’a aucune place dans un programme de société ! Nous savons tous qu’il faut « faire en sorte que … » ! Ce que nous attendons des dirigeants c’est de nous dire comment « on fait en sorte que ! »
Pour mieux illustrer mon propos, je m’appuierai sur des exemples que je prendrai dans les programmes de sociétés que nous proposent les candidats à l’élection présidentielle. L’idée étant de montrer le manque de pragmatisme ou d’originalité.
« La mise en œuvre des actions prévues dans le cadre de mon programme nécessite des ressources financières dont le montant cumulée est évalué à la somme de quinze mille six cent vingt-neuf virgule trente-deux milliards de francs CFA (15 629,32 milliards de F CFA) sur les 5 ans. » Le projet de société de Zéphirin Diabré.
15 000 000 000 000 (15 000 milliard) CFA ! Cela est bien connu, le cerveau humain à de la peine à appréhender de tel grand nombre. Relativisons donc. Que pensez-vous donc de 884 000 CFA ? Plus facile ! Juste en dessous de 1 million CFA ! Figurez-vous que, si l’UPC gagne l’élection, chaque burkinabè (17 million) aura 884 000 CFA de dette après 5 ans de mandat !
C’est 176 800 CFA par an et par burkinabè ! En contraste, plus de 50% de la population du Burkina vie en dessous du seuil de pauvreté qui était de 2 USD/jour en 2015 soit environ 428 000 CFA par an.
Bien sûr, il ne s’agit là que du capital, les intérêts seront en fonction. Comme on sait que des pays comme le Faso n’ont pas une très bonne note auprès des institutions financières internationales (B-/B pour S&P), il faut s’attendre à un taux d’intérêt élevé (fonction du risque encouru à nous prêter de l’argent). Les riches empruntent à un taux d’intérêt faible, parce qu’il y a peu de risque à leur prêter. Les pauvres doivent payer beaucoup plus parce que celui qui prête l’argent prend de gros risques.
Supposons que chaque burkinabè soit prêt à supporter le fardeau d’une telle dette ! Que se passe-t-il lorsque les créditeurs décident que c’est bien trop d’argent pour un pays pauvre comme le nôtre ? Il ne suffit pas de vouloir emprunter pour que l’on vous prête ! Si l’emprunt échouait, ou connaissait un succès autre que total, voici un programme de société qui ne pourra pas être mis en œuvre !
Dans un contexte de crise économique mondiale, où chaque pays parle de réduire sa dette et de ne pas vivre au-dessus de ses moyens, rares seront les partenaires qui voudront supporter un tel projet ! Un proverbe de chez nous ne dit-il pas « Dort à terre, qui dort sur la natte d’autrui » ?
« la construction d’une centrale nucléaire civile sera envisagée en partenariat avec les pays de la CEDEAO, ou de l’Union africaine ». Le projet de société de Zéphirin Diabré.
BRAVO ! Seul problème : Aucun pays de la CEDEAO, ne possède la technologie nucléaire. A l’échelle de l’Union Africaine, un pays comme l’Afrique du Sud (qui a 2 centrales nucléaires ne produisant que 5% de leur besoin) vient de signer des accords avec le Congo pour développer les barrages hydroélectriques d’Inga. Une centrale à l’échelle africaine doit être d’une taille telle que le projet sera impossible ou alors il en faudra plusieurs. A cela s’ajoute le fait que l’Afrique est un continent en pleine transformation, ébullition. Un continent instable ! Qui donc aura l’inconscience de nous vendre la technologie nucléaire ? Vendre le nucléaire à des pays ou la moindre rébellion peut à une vitesse fulgurante occuper la presque totalité du territoire nationale ? Imaginez un peu une centrale nucléaire aux mains de Boko Haram, AQMI ou quelques autres groupes rebelles qui arpentent notre continent !
Quand même, nous aurions surpassé tous ces problèmes, « Chez qui va-t-on déposer cette centrale ? » me demandait un ami de la Cote d’Ivoire il y a une dizaine d’année de cela lorsque nous discutions du même sujet ! Certain pays enclavés sont exclus d’avance parce que n’ayant pas les capacités en eau qui sont requises pour le refroidissement. Reste donc les pays côtiers. Mais nous avons vu les émeutes qui sont nées de la création de simple centre de traitement d’Ebola à proximité des habitations dans certains pays. Quand on sait les dégâts que peut occasionner une centrale nucléaire, allez convaincre les populations d’accepter l’implantation d’une, à proximité de leur village !
Les seuls vrais options donc pour un pays en Afrique sont l‘hydroélectrique et le solaire ! Depuis au moins un demi-siècle, c’est bien connu qu’Inga I, II et III à eux seuls éclaireront toute l’Afrique avec même un supplément de production exportable vers l’Europe ou le Moyen-Orient !
L’autre ressource dont regorge l’Afrique, c’est le soleil ! J’ai abordé le problème plus d’une fois dans mes blogs. Inga, c’est du long terme. Dans le cours terme, il faut de l’originalité dans la pensée pour résoudre les problèmes de déficit énergétique. On peut essayer comme l’UPC de construire des centrales thermiques, photovoltaïques et hydroélectriques. Mais lorsque cela dépend de la capacité de l’Etat à mobiliser les fonds nécessaires, le court terme devient très vite un moyen sinon long terme ! Au problème d’argent viendront se greffer les autres considérations comme écologiques par exemple. Les riverains du barrage de Samandéni en savent quelques choses. Les projets solaires, comme ceux éoliens en Europe rencontreront très rapidement l’opposition des populations quand de vastes ères du pays seront dépaysées pour installer des plaques photovoltaïques. Autant de terres rendues inutilisables pour l’agriculture et l’élevage.
Pourquoi ne pas permettre que chaque centimètre carré de toit devienne donc une centrale photovoltaïque ? Pourquoi ne pas inverser les rôles et permettre aux ménages de devenir des producteurs d’énergie ? Le ménage produit d’abord pour sa propre consommation et revend son surplus dans un réseau national. J’ai abordé le problème mainte fois sur mon blog. Ce n’est rien de nouveau, cela se fait déjà dans les pays développés avec les propriétaires d’éoliennes. Pour un pays comme le Faso, non seulement cela contribuera à renforcer le revenu des ménages, mais aussi réduira les coûts de production des biens et services par une baisse du prix de KW industriel ! Le pouvoir d’achat augmente doublement donc, une très bonne chose pour la consommation et l’épargne avec des répercutions sur les investissements qui eux a leurs tours génèrerons des emplois.
C’est dire donc qu’avec un peu de pragmatisme et d’originalité, l’économie de notre pays peut être relancée sans forcément avoir besoin d’emprunter des sommes colossales.
« L’accélération de la mécanisation de notre agriculture pour accroître notre production nationale sera entreprise par la vulgarisation et la diffusion des moyens modernes de production qui seront fabriqués sur place. Ainsi, deux unités de montage de tracteurs et de motoculteurs seront réalisées, grâce au partenariat public-privé ; de même, le taux d’utilisation des semences et des engrais sera porté à plus de 50%, grâce à une bonne sensibilisation des producteurs et à un système d’approvisionnement rendant plus accessibles les coûts des semences et des engrais. Il sera créé, à cet effet, une centrale d’approvisionnement des intrants (engrais, semences) en partenariat avec le privé » Ensemble le progrès est possible – MPP.
Rappelons-nous les ORD (Organisation Rurale de Développement)/CRPA (Centre Régionale de Promotion Agro-pastoral) et les AVV (Aménagement des Vallées des Volta. C’est exactement la mission qui leur avait été confiée dès les premières heures de l’Independence du pays !
Les burkinabé ont donc déjà payé pour ce programme ! Comment peut-on donc oser nous demander une deuxième fois de payer encore pour la même chose ? Les ORD/CRPA et les AVV ont-ils donc échoué ? Pourquoi ? Sans comprendre pourquoi, le risque de refaire les mêmes erreurs est simplement trop élevé ! Or, la solution qu’on nous propose ici semble être exactement la même que celle sur laquelle CRPA et AVV ont travaillé dans le passé. Quelles raisons avons-nous d’attendre des résultats différents ?
L’agriculture pratiquée au Burkina, est une agriculture de subsistance ! Par définition, cela veut dire que celui qui la pratique, cherche d’abord à en vivre ! Ni plus, ni moins. A-t-on besoin de mécaniser un champ de 5 hectares ? Le fait de construire des unités de montage de de tracteurs ne facilite en rien la mécanisation. Par exemple, il y eu des unités de montage de charrues dans le passé. Quel bilan font-ils au Sénégal de leur unité de montage de bus ?
L’agriculture vivrière ne nous portera jamais à l’autosuffisance alimentaire ! Ce n’est ni la faute des agriculteurs, ni celle des moyens de production. C’est simplement que la méthode (vivrière) n’est pas adéquate pour un tel objectif ! Il faut donc une agriculture moderne, l’agro-business ! Original ? Pas encore ! C’est une simple lapalissade !
Ce qui serait original et pragmatique, c’est de reconnaitre que notre cher Burkina Faso est un pays sahélien. Un pays très peu arrosé, et aux précipitations mal réparties dans le temps et dans l’espace (leçon de géo. , classe de 3 ème.) . Quand j’étais en 3 ème justement, nous étions 6 à 8 millions et un « expert » à l’époque disait que ce pays pouvait encore supporter une population 3 fois plus grande, soit 18 à 24 millions selon mes calculs. Son calcul se basait sur l’état d’appauvrissement de nos sols. A 17 millions aujourd’hui, peut être que nous ne sommes pas si loin de cette limite ?
Dans le court terme, le Burkina est un pays qui aura de la peine à produire suffisamment pour se nourrir : les sols sont trop pauvres, l’eau est rare et les semences sont de moins en moins adaptées à nos conditions climatiques. Cela ne veut pas dire que nous mourrons de faim ! En tous cas pas si nous développons nos atouts. En effet, pays d’élevage par excellence, et situé au cœur de la CEDEAO, le Burkina Faso a la capacité d’être le pourvoyeur en viande de la région. Le marché est énorme ! Notre potentiel aussi ! Il s’agit là d’un objectif à court que nous pouvons atteindre sans beaucoup d’efforts. À la viande s’ajoutera naturellement les cuirs et peaux.
Un pays comme l’Uruguay tire bien son épingle du jeu par ses exportations en viande. Un pays comme l’Irlande exporte le bœuf jusqu’en Libye, et d’autre pays du moyen orient.
Dans le long terme, on peut envisager la production de lait et d’aliments à partir d’espèce génétiquement modifié pour les adapter à nos conditions climatiques. Le Brésil, un pays tropical comme nous, est passé quatrième producteur mondiale de lait en 2013, loin devant la France, l’Allemagne, la Russie ! Aujourd’hui, leur recherche se concentre sur la production du blé en région tropicale.
Conclusion
Sans rompre avec la répétition, nous n’avancerons pas ! Pour emprunter à l’autre, « Le changement, ce n’est pas le remplacement ! ». Le changement, c’est la rupture ! La rupture avec le passé et les hommes du passé !
Quel changement aurons-nous effectué si nous retournons les mêmes qui étaient là depuis 30 ans ? Les mêmes qui nous proposent de rouvrir les CRPA et les AVV ? Les mêmes qui veulent dépenser notre argent comme si cela ne se remboursait pas ?
Au commencement de cette révolution, certains de nos camarades sont tombés. Ils sont tombés pour déboulonner un système qui asphyxiait notre pays.
Pour honorer nos martyrs, chacun d’entre nous, avant de déposer le vote dans l’urne, se doit de se poser la question « mon vote fait-il honneur à ceux qui ont donné leur vie pour que ce vote ait lieu ? »
Et, mes chers compatriotes, il faut aller voter ! Je ne suis pas emballé moi non plus par la campagne, mais le vote est un DEVOIR citoyen ! Il n’y a pas de quorum à l’élection présidentielle ! Si même une seule personne dans tout le Burkina votait, cette personne alors déciderait pour nous les 16 999 999 de burkinabè qui serait le Président du Faso ! Alors si quelqu’un vous parle de boycott, répondez-lui que « les peuples méritent leur dirigeants ». Si vous ne savez pas pour qui voter, faite un vote de protestation, c’est-à-dire donner votre voix aux candidats pour qui vous n’auriez pas voté en circonstances normales ! Le bulletin nul, est une perte de temps ! C’est comme si vous n’étiez pas allé voter !
Le vote est secret ! Ce que vous ferez dans l’isoloir restera entre vous et votre dieu ! Personne ne saura JAMAIS pour qui vous avez voté !
Pour ma part, je reste sur ma faim quant aux questions de développement, alors la justice sera le maitre mot pour moi.
Erratum
Dans la deuxième partie de ce blog « Un Faso du savoir oser », j’ai écrit :
« Le président du Faso n’est pas là pour « gérer » le pays ! Un seul homme ne peut pas gérer un pays. C’est pourquoi il existe une administration publique ! Le rôle du président, est de gouverner ! »
Il a été porté à mon attention que le premier ministre est celui qui gouverne. Il est d’ailleurs le chef du gouvernement.
Il est tout à fait vrai que le premier ministre gouverne. Cependant, notre constitution en son article 36 dit ceci « Le Président du Faso est le Chef de l’Etat. Il veille au respect de la Constitution. Il fixe les grandes orientations de la politique de l’Etat. .. »
Même en cas de cohabitation, le PF est celui qui définit les orientations du gouvernement. C’est cela le message que j’essayais de passer. Le premier ministre n’est pas élu ! Il serait dangereux alors de lui permettre de mettre en œuvre un quelconque programme de gouvernement ! C’est du reste, à cause d’antagonismes du genre que je suis un fervent militant du système parlementaire. Sur quoi par exemple les candidats aux législatives battent campagne ? Que peuvent-ils honnêtement promettre à leur circonscription électorale ? Le programme qui sera mis en œuvre après l’élection est celui du Président du Faso. Dans de telles conditions, on est en droit de se demander à quoi nous servent les 111 députés que nous élirons ? Si c’est juste pour faire les lois, alors on gagnerait à les tirer au sort (comme à Athènes) et à réduire considérablement leur nombre d’autant que le député n’a pas vraiment les moyens pour défendre sa circonscription. C’est un autre débat.
Koudraogo Ouedraogo
Email: koudraogo.ouedraogo@gmail.com
Blog: https://burkinafache2015.wordpress.com